ÉTUDE
Les Français face
aux transitions
agricole et alimentaire
Le poids que représente aujourd’hui l’agriculture dans la préservation du vivant et l’importance qu’a la composition de l’assiette des Français dans la réduction de leur empreinte carbone appellent des mutations dans les habitudes de production et de consommation. Touchant aux paysages, au quotidien des Français et à l’intime, ces enjeux de transition peuvent cristalliser des clivages importants, alimentant des oppositions entre pro et anti-viande, entre défenseurs et opposants aux méga-bassines, etc. Il est donc nécessaire de s’attacher à comprendre comment l’opinion publique se structure pour identifier les marges d’acceptabilité et mieux définir comment la communication peut permettre de dépasser les clivages.
C’est ce que nous avons essayé de faire via deux études menées avec l’institut Vérian (ex Kantar public) en 2021 et 2024, mais aussi des échanges avec des experts, des praticiens et des chercheurs.
Le dispositif d'étude comprend un volet qualitatif (2 focus groups de 10 personnes) et un volet quantitatif avec un sondage représentatif de la population française réalisé en mai 2024 auprès de 2000 répondants avec l'institut d'études Vérian.
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1. Un attachement profond aux mondes agricoles :
Un attachement profond aux agriculteurs
9 Français sur 10 ont une bonne image des agriculteurs et des agricultrices. Les agriculteurs font d’ailleurs partie des professions préférées des Français, avec les médecins, les pompiers et les infirmiers (Sondage Ipsos/Lidl - février 2022). Pour l’opinion, ils sont travailleurs (90%), soucieux de la qualité de leurs produits (84%), mais aussi en souffrance (83%). Cet attachement aux mondes agricoles est fortement teinté d’empathie :
" Ils font leur métier et en plus ils doivent faire de l’administratif"
" C’est un métier compliqué à plein de niveaux."
" On ne peut que respecter ces personnes. Ce n'est pas sûr qu’on signerait pour le même emploi du temps et le même labeur."
" Ils sont essentiels. La nourriture, la plupart des choses viennent des agriculteurs."
Cet attachement se reflète dans la consommation
La consommation d’une alimentation de provenance locale ou achetée en direct au producteur est très valorisée dans l’opinion et teintée de cet attachement profond aux agriculteurs : parmi les personnes qui déclarent avoir consommé davantage de produits locaux ces dernières années, on trouve une majorité de personnes qui déclarent l’avoir fait pour soutenir le revenu des agriculteurs.
Les mobilisations des agriculteurs de l’hiver 2024 ont par ailleurs contribué à renforcer le soutien des Français pour les agriculteurs, 76% des personnes que nous avons interrogées déclarant avoir soutenu le mouvement. Ces mobilisations ont enfin incité un certain nombre de Français à consommer “local” pour soutenir les agriculteurs :
"Je ne regardais pas forcément d’où venaient mes fruits et légumes. On regarde le prix car nous aussi on a notre portemonnaie. Si je pouvais aller sur du français…"
Mieux rémunérer les agriculteurs est d'ailleurs la première priorité concernant l'avenir de l'agriculture pour les Français.
Un attachement à nuancer
Pour autant, il n’y a pas d’attachement unanime à tous les types d’agriculture ou d’agriculteurs. Si la bio et le conventionnel ont des images à niveaux équivalents, les Français perçoivent des différences d’une spécialité agricole à l’autre et distinguent l’agro-industrie de l’agriculture dont ils se font une représentation traditionnelle (le paysan avec ses vaches dans le pré).
D’autre part, la préoccupation pour le pouvoir d’achat reste déterminante. La question des prix de l’alimentation est centrale et prioritaire et ce, d’autant plus en 2024 : 82% des répondants considèrent important que l’agriculture propose des produits à bas prix aux consommateurs. C’est 9 points de plus qu’en 2021. La motivation du prix est d’ailleurs une constante qui motive l’acte d’achat en rayon.
2. Un modèle à suivre clair :
On observe une appétence de l’opinion pour les petites exploitations “raisonnables”, faisant un usage modéré des pesticides, en décalage avec le désamour pour la bio.
Le local plébiscité, une autre dimension de la souveraineté alimentaire
Le développement de petites exploitations familiales assurant la souveraineté agricole locale est un modèle plébiscité par l’opinion, illustrant l’attachement à la représentation d’une agriculture à taille humaine. La consommation dite locale devient un gage de soutien à l’image d’une agriculture traditionnelle, vertueuse pour les agriculteurs et la communauté locale. En effet, 74% des personnes interrogées déclarent consommer davantage de produits locaux et ce, avant tout pour mieux rémunérer les producteurs.
L’engagement en faveur des agriculteurs par la consommation est donc bien identifié par l’opinion. La consommation devient un acte militant qui permet aux agriculteurs français de mieux vivre et de mieux faire vivre le tissu local. À ce titre, on observe une identification vis-à-vis des conditions de vie des agriculteurs qui se traduit dans la corrélation importante entre la priorité donnée au pouvoir d’achat dans l’ordre des préoccupations des Français et le fait que les répondants de nos études jugent à 90% important le fait de mieux rémunérer les producteurs et 88% de favoriser les circuits courts.
Enfin, ce modèle agricole tourné vers le dynamisme du tissu local s’exprime fortement dans la volonté, partagée par l’ensemble de la population, d’aller faire ses courses dans les fermes ou les producteurs locaux en priorité, s’ils en avaient les moyens financiers.
La bio, en phase de désamour
On l’a vu, l’image de l’agriculture bio et de l’agriculture conventionnelle sont à des niveaux équivalents en 2024, ce qui n’était pas le cas en 2021. Ce détachement de la bio trouve, là encore, son pendant dans l’attachement au local. Une étude BVA pour le Crédit Agricole datant de juin 2021 soulignait d’ailleurs qu’à choisir entre consommer bio quelque soit la provenance et consommer non bio mais près de chez soit, la 2e option l’importait très largement.
Par ailleurs, quitte à ce que l'alimentation soit plus chère, une agriculture sans pesticides est préférable à une agriculture bio.
Le lien entre agriculture et environnement est établi
Malgré ce désamour pour la bio et si le modèle agricole plébiscité est celui d’une agriculture à échelle locale, celui d’une agriculture écologique et sans pesticides, préservant la biodiversité, suscite lui aussi l’adhésion d’un grand nombre de Français.
On observe en effet, d'une part une conscience partagée qu’elle doit mieux s’adapter aux changements climatiques ; d'autres part une importance accordée aux normes qui s’appliquent à l’agriculture, même après les manifestations de l’hiver 2024.
3. Des transitions alimentaires engagées :
Panorama des modifications que les Français déclarent avoir opérées ces 2 dernières années dans leur alimentation :
Reprendre le contrôle sur ce que l’on consomme
Le fait maison est très investi et valorisé. C’est le terrain des bons plans, de la maîtrise du budget aussi et de la maîtrise du porte-monnaie. La consommation de saison est sans doute l’argument le plus concret et le plus parlant pour évoquer les transitions alimentaires en lien avec la question environnementale. On note également que l’accès à une viande de qualité peut inciter les plus réticents à réduire leur consommation de viande : au fond, c’est un argument économique qui peut prévaloir.
Alors que l'argument santé est régulièrement invoqué, quelque soit le type de transition alimentaire opéré, l’argument environnemental est, lui, peu compris : il n’y a pas de lien fort entre transition alimentaire et protection de l’environnement.
Le moins de viande est entré dans la norme sociale
Les régimes alimentaires comportant moins de viande sont de plus en plus connus et acceptés. 1 Français sur 2 dit connaître au moins un végétarien dans son entourage et 61% des Français déclarent avoir réduit leur consommation de viande au cours des deux dernières années. On note également l’absence de rejet fort des végétariens et végétaliens (par moins de 10% de la population), même si cette bonne opinion se retrouve plus fortement chez les urbains, les jeunes, les sympathisants de gauche et les personnes sensibles à l’environnement.
Toutefois, le lien entre viande et environnement n'est pas établi. Si les Français déclarent consommer moins de viande, ils l’expliquent cependant en premier lieu par des considérations économiques et de santé. Le lien entre consommation de viande et environnement reste peu lisible.
Panorama des modifications sous-jacentes aux changements alimentaires déclarés :
4. Ce que l’on en tire du point de vue de la communication
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La notion de proximité est fondamentale : elle ancre dans le réel, ce qui explique sans doute la plus forte adhésion au “sans pesticides” (quelque chose de mesurable et de visible) vs. l’adhésion au bio (sans doute trop abstrait, cf. focus groups).
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La baisse de la consommation de viande est acceptée, mais les focus groups soulignent l’importance de ne pas aborder frontalement cette question afin que cela reste un choix : il faut capitaliser sur cette acceptation pour non pas “interdire”, mais proposer des solutions positives, par exemple valoriser les possibilités offertes par la cuisine des légumineuses et souligner leurs bénéfices sanitaires.
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Le fait qu’aucun émetteur fort n’émerge souligne la nécessité de faire émerger des émetteurs qui font le lien entre les politiques de l’alimentation et les comportements individuels en expliquant concrètement le lien entre environnement et alimentation.