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Dans les quartiers populaires, les jeunes attendent qu’on les accompagne vers l’action environnementale

Topo. La question environnementale intéresse les jeunes habitants des quartiers populaires. Ils et elles sont même prêts à passer à l’action… à condition qu’on leur explique pourquoi et comment, et qu’on leur montre comment ça peut améliorer leur vie. C’est ce qui ressort de l’analyse croisée de plusieurs enquêtes et études.



Les jeunes de banlieue et l'écologie


Partons d’emblée d’un constat : les jeunes habitants des quartiers populaires sont parmi les premières victimes de certaines problématiques environnementales en France. L’association Ghett’Up place cette réalité sous la bannière de “l’injustice climatique”, et en identifie les quatre grands piliers : l’exposition aux pollutions et nuisances, une moindre prévention des risques, un accès limité aux bénéfices de l’environnement et une incapacité matérielle à s’engager.


Nous n’évoquerons pas ici le sujet du “racisme environnemental”, concept américain encore très peu étudié et documenté en France. Mais l’on sait en revanche que les classes populaires sont plus affectées par les effets de la pollution : à Paris, par exemple, les habitants les plus pauvres risquent trois fois plus de mourir d’un épisode de pollution que les habitants les plus riches. Et les plus vulnérables sont les enfants. Autre exemple marquant : pendant la canicule de 2003, le deuxième département le plus sévèrement touché après le Val-de-Marne (surmortalité de + 171%) était la Seine-Saint-Denis avec une surmortalité de +160% .


Cette injustice climatique reste pourtant un angle mort de l’écologie française. D’emblée, la mobilisation des “jeunes de quartier populaire” pour l’environnement doit donc être envisagée à travers deux enjeux : faire progresser la transition environnementale dans toutes les couches de la société, mais aussi promouvoir l’égalité des chances. Et cela commence par une meilleure connaissance du rapport de ces jeunes aux questions environnementales.



Oui, les jeunes de banlieue s’intéressent à l'environnement


Avant toute chose, il s’agit de mettre fin à un cliché : non, les jeunes de banlieue ne sont pas indifférents au sujet environnement. Certes, interrogés sur leurs préoccupations, ils et elles citent d’abord les questions de pouvoir d’achat, d’emploi, voire d’éducation, et presque jamais le climat… Ils sont d’ailleurs en phase avec l’ensemble de la société française sur ce point, Les jeunes même s'ils sont des préoccupations plus spécifiques, comme les discriminations.




Mais questionnés sur l’environnement, il est évident qu’ils accordent de l’importance au sujet, comme la majorité des Français de leurs âges. Pour Shaïma (27 ans, femme au foyer) par exemple, “l’environnement, c'est très important. Mon fils, je me demande comment il va vivre dans vingt ans. Déjà, moi, dans dix ans, je sais même pas si on va vivre encore. (...) Il y aura un jour où on sera restreint par rapport à l'eau, c'est sûr, ça arrivera. (...) Ce qui me marque le plus dans le changement climatique, c'est la sécheresse. En Tunisie, quand on y était en vacances en décembre, les terres étaient très, très sèches. L'huile d'olive, par exemple, elle a pris 40 % parce qu'il y avait trop de sécheresse.”



Ils perçoivent très clairement les effets du changement climatique sur leur quotidien


Dans les quartiers populaires, la question environnementale est d’abord perçue à hauteur de quotidien. Cela ressort avec évidence lors des entretiens qualitatifs menés par Parlons Climat en 2023.


Un des premiers sujets qui émerge, c’est souvent celui des déchets. La pollution visible et la dégradation de leur environnement direct les affecte beaucoup. “Pour sensibiliser les gens, il faut vivre dans des milieux propres,  explique Marie-Ange (27 ans, femme au foyer). Or, chez nous, les éboueurs passent une fois par semaine, pour une résidence de 18 bâtiments. Et je pense que ça n'incite pas du tout les gens à prendre soin ni de l'endroit où ils vivent, ni des autres.” Le sujet des incivilités liées au sujet des détritus, du tri des déchets - un geste mis en avant avec fierté par celles et ceux qui le pratiquent - revient quasi-systématiquement dans les échanges.


Mais au-delà de leurs poubelles, les jeunes adultes sont sensibles au dérèglement climatique. Ils ont vu, déjà, changer le rythme des saisons par rapport à leurs souvenirs d’enfance. Ils ressentent les effets des canicules et des vagues de froid dans leurs logements. Celles et ceux qui ont des liens familiaux avec d’autres pays observent les effets sévères du dérèglement climatique “là-bas”. Même ceux qui se tiennent peu informés de l’état du monde ont noté une multiplication des catastrophes, et retiennent que l’avenir s’annonce plutôt sombre pour la planète. Ceux, et surtout celles, qui ont des enfants se disent préoccupés pour leur avenir dans ce monde de plus en plus chaotique. Ces jeunes mères font un lien direct, souvent, entre santé et pollution de l’air, mais aussi avec la qualité de leur alimentation quotidienne, et confient leur désarroi et leur envie de “bien faire”.


💡 En 2022, l’association Ghett’Up a interrogé 13 jeunes habitant un quartier populaire sur leurs perceptions de discriminations environnementales dans leur quotidien. Tous ont mentionné la difficulté d’accéder à une alimentation saine; la moitié a évoqué le manque d’espaces verts.


Leur écologie est populaire et passe par un changement d'habitudes de consommation


Non seulement ces jeunes de banlieue ont conscience de la problématique environnementale, mais ils agissent. Mais d’une façon qui relève plus souvent de ce que certains chercheurs appellent “l’écologie ordinaire” que de l’engagement militant ou d’un virage vers un mode de vie écolo-alternatif. “Il existe bel et bien des pratiques et des initiatives en quartiers populaires qui ne se disent pas écolo, mais qui le sont pourtant, explique la chercheuse Léa Billen, géographe de formation et enseignante, et qui a soutenu une thèse sur les initiatives citoyennes écologistes en quartiers populaires en France en 2023. (...) C’est aussi une question de mots utilisés, on ne parlera pas de ressourcerie mais de vide-grenier par exemple.” Certains adoptent aussi des gestes individuels comme le tri des déchets ou l’achat de seconde-main (via Vinted, notamment) par exemple. Parmi ces gestes “bons pour la planète”, les savons et lessives “DIY”, le choix du vélo comme mode de transport ou la réduction de l’usage de la voiture, le recours au prêt d’objets, le choix de consommer moins, de limiter le plastique, de choisir des produits bio…




Léa Billen, chercheuse sur les initiatives citoyennes écologistes en quartiers populaires

"Il existe bel et bien des pratiques et des initiatives en quartiers populaires qui ne se disent pas écolo, mais qui le sont pourtant.”

Léa Billen, chercheuse sur les initiatives citoyennes écologistes en quartiers populaires



Plusieurs jeunes interrogés semblent établir un lien entre surconsommation, crise économique et crise environnementale, via la problématique de “la pollution”. “Tout est lié à la surconsommation, analyse ainsi Shaïma (25 ans, femme au foyer). Quand on rentre chez Zara et qu'on voit 10 000 jeans, 500 vestes, sous 4 000 références, est-ce qu'on a besoin de tout ça ?” Sa réponse à cette overdose : “ Moi, maintenant, même les vêtements de mon fils, je les achète en brocante ou sur Vinted, et les miens aussi.”

Consommer moins est ainsi envisagé à la marge… mais consommer “mieux” est une préoccupation quotidienne, au croisement entre impératifs économiques, modèle parental de “bonne gestion” et prise de conscience environnementale balbutiante. C’est l’exemple de Sinthujan (25 ans, éducateur sportif), qui explique être un client occasionnel d’un magasin Naturalia. “Je ne fais pas mes courses là-bas, je vais plutôt dans un supermarché normal, mais ça m’arrive. Ils proposent des produits en vrac, ça c’est vraiment très intéressant. Il n’y a pas trop de plastique et donc de résidus, et l’aliment se conserve bien dans les bocaux. J’achète des noix, du thé, des petits trucs. Ça fait des économies d’argent. On ne prend que la quantité qu’on souhaite acheter.”



Mais l'écologie n'est pas leur combat et les concepts "techno" leur échappent


Les jeunes interrogés ont donc conscience des effets du dérèglement climatique, sur leur cadre de vie comme sur la planète en général, et font un lien entre mode de vie et impact environnemental. Mais les mécanismes du dérèglement semblent peu connus. Les termes “techno” - baisse de l’empreinte carbone ou CO2 ou transition écologique, par exemple - ne leur sont en tout cas pas familiers, ils sont bien souvent incapables de les expliquer.


Farah (22 ans, conseillère de vente) explique ainsi ne pas savoir “vraiment” ce que veut dire “Réduire nos émissions de CO2”. “Pour moi, le CO2, c’est l’air”, tente-t-elle. En revanche, elle fait un lien entre cette question de “gaz” et “les transports”. “Je crois que c'est ce qui crée le plus de CO2, c'est la voiture, c'est les transports en fait. L'avion en premier lieu et après, la voiture. Mais je ne sais pas comment réduire nos pollutions.”


Autre exemple de sujet mal compris : le lien entre consommation de viande et impact environnemental. Y compris par celles et ceux qui disent réduire leur consommation (pour des raisons de santé, principalement). Tout en faisant un lien entre bœuf et émissions de CO2, Azedine (28 ans, agent commercial) y voit ainsi “un problème d’espace et donc un problème secondaire. Parce que tout de suite, là, ce qui est alarmant, c'est notre consommation. C'est nos déchets, c'est ce qu'on rejette.”



Pour "mieux faire", les jeunes disent avoir besoin d'être guidés


Prompts à l’auto-critique, beaucoup estiment qu’ils pourraient “faire mieux” pour l’environnement, et se déclarent prêts à changer certaines habitudes… mais ils et elles doutent de pouvoir avoir un quelconque impact sur le phénomène de dérèglement climatique. Les jeunes interrogés identifient peu de leviers à leur portée et minimisent volontiers la portée de leurs “petits” gestes, conscients voire honteux de “ne pas en faire assez”.



“Si vraiment, on m'explique le pourquoi du comment, moi je suis ouverte à changer mes habitudes”

Farah (22 ans, conseillère en vente)



Ils estiment aussi qu’on ne peut guère attendre d’eux qu’ils soient plus exemplaires que les “vrais” responsables du dérèglement, “l’élite” ou “les gros industriels”. Les gestes qu’ils estiment “bons pour la planète” leur paraissent de toute façon hors de leur portée économique. C’est notamment le cas des produits bio, très souvent cités. “Moi, je ne peux pas manger bio. Clairement, ça coûte trop cher, explique ainsi Gname (24 ans, étudiante). C'est aussi une question de classe sociale.”


Agir pour la planète, ils seraient partants, mais ne savent pas vraiment comment et demandent donc à être guidés, accompagnés. “Si vraiment, on m'explique le pourquoi du comment, moi, je suis ouverte à changer mes habitudes”, assure Farah (22 ans, conseillère en vente).

Plusieurs seraient tentés, nous disent-ils, par un engagement dans une association, ou le soutien d’un programme environnemental de proximité ou plus global. Mais rares sont ceux capables d’en citer. D’une façon générale, les jeunes identifient mal des figures portant la cause environnementale, parmi des personnalités publiques comme parmi leurs proches. Ils semblent très peu exposés, dans leurs habitudes de consommation de médias, à des discours écologistes.


💡 L’association Ghett’Up, qui a interrogé également des éducateurs et responsables d’associations travaillant dans des quartiers populaires, met en lumière un maillon manquant dans la chaîne de sensibilisation. Pour le résumer de façon très schématique, on aurait d’un côté des associations environnementales qui ne savent pas parler aux jeunes de quartiers, et de l’autre, des experts de l’éducation populaire qui savent très bien mobiliser les jeunes, mais placent la question environnementale derrière d’autres enjeux d’égalité des chances.


Bref : l’écologie “officielle” semble éloignée de leur quotidien et de leur réalité. L’argument “Je sais qu’il faudrait, mais je ne peux pas ou je ne sais pas comment” est brandi à la fois comme justification et comme critique à l’égard de ceux qui porteraient des injonctions qui restent incomprises, ou perçues comme décalées. Consommer des produits bio ? Ils n’en ont pas les moyens. Ne pas prendre l’avion ? “Je pense que les personnes qui disent ça ont les moyens de payer un billet à 200€ pour le train", rétorque Gname.


En revanche, leurs attentes sont fortes vis-à-vis de “ceux qui ont les responsabilités”. Certains disent attendre un signal, des règles qui placeraient tout le monde à égalité devant les changements à opérer. Sauf exception, l’idée de récompenser les “bons gestes” leur plaît plus que celle de contraintes supplémentaires. Certains ont des idées… mais la plupart est plutôt attentiste. Aucun n’envisage par exemple d’impulser un changement à l’échelle de son quartier. Le changement doit venir “d’en haut”, ou en tout cas de l’extérieur du quartier. “Ce que j'aimerais, nous dit finalement Sara (26 ans, en congé parental), c'est que ceux qui ont les moyens de changer les choses le fassent, parce que moi... À mon niveau de petite échelle, je trie mes déchets, j'essaye de faire attention à ce que je consomme.. Mais je ne pense pas que c'est moi qui vais changer le monde.”


 


Aller plus loin

🎧 Podcast : Quelle écologie pour les habitants des quartiers populaires ? (France Inter), avec Fatima Ouassak, Laure Watrin et Féris Barkat.




📌 Sources utilisées

En guise d’éléments d’analyse et de contexte :


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