Les chrétiens, premier groupe religieux en France, sont réputés sceptiques sur les questions environnementales. Comment décrire et expliquer leurs positionnements ? Une étude pionnière conduite par Parlons Climat offre des pistes de réponse et dessine des leviers d’engagement.
Auteure : Cléo Schweyer, journaliste et chercheuse en communication environnementale
Avec 34% des Français se déclarant chrétiens[1] (32% au niveau mondial), la mobilisation de ces croyants est un enjeu majeur de l’engagement citoyen à agir. Cet enjeu est désormais bien identifié par la recherche internationale en communication environnementale[2], et fait l’objet d’un nombre croissant de publications scientifiques. En ligne de mire, une question centrale : ce groupe est-il, de manière homogène, à classer au rang des « opposants » à l’écologie, ou constitue-t-il un groupe ressource qu’il faut apprendre à appréhender ?
Pour dégager des éléments de réponse à cette question dans le contexte français, Parlons Climat et ses partenaires (l'association environnementale protestante A Rocha France, la Fondation FLAM et Nuances d’Avenir) ont conduit la première étude quantitative sur les attitudes des chrétiens sur le climat et la biodiversité. Trois groupes de croyants ont été interrogés : des catholiques, des protestants luthéro-réformés et des protestants évangéliques, les trois groupes chrétiens les plus importants démographiquement dans notre pays. Les résultats dessinent une population aux convictions environnementales nuancées, et pour laquelle la pratique religieuse constitue un répertoire important de compréhension et d’action. Retour en 4 points-clés sur ces apports inédits.
1. Les chrétiens français ne sont pas climatosceptiques
Premier enseignement de cette étude, les chrétiens français ont conscience de la crise environnementale au même titre que la population générale : 65% de nos enquêtés considèrent le changement climatique principalement dû à l’activité humaine (66% en population générale), et 85% d’entre eux estiment qu’il est crucial de changer de modes de vie dès maintenant pour enrayer la crise (82% en population générale). Leur confiance envers les scientifiques est également comparable à celle de la population générale.
Mieux, 82% des chrétiens pratiquants interrogés souhaiteraient en faire plus face à la dégradation de l’environnement et au changement climatique. La foi n’est donc pas prédictive en tant que telle d’une moindre prise de conscience de la situation, et ce quel que soit le groupe religieux concerné.
2. La culture religieuse est le point d’appui à privilégier pour la communication
90% des chrétiens pratiquants considèrent que prendre soin de la Terre c’est aussi prendre soin de son prochain. Une large majorité de répondants (70% tous cultes confondus) considèrent que la Bible contient de nombreux passages en lien avec la protection de l’environnement. Mais seulement un chrétien sur deux fait le lien entre ses convictions écologiques et sa spiritualité. La clé de cette différence est double : d’une part, la perception que les personnes vont avoir de leur identité chrétienne et leurs priorités en tant que croyant ; d’autre part, leur lecture des textes religieux, plus ou moins ouverte selon les traditions et mouvements.
L’étude souligne que pour plus d’un répondant sur deux, notamment les plus pratiquants, c’est le rôle de l’Eglise de parler d’environnement et de changement climatique. Ainsi, s’appuyer sur des relais dans la hiérarchie des églises et inscrire la communication environnementale dans l’agenda liturgique, mais aussi dans les formes de communication privilégiées par les communautés (temps forts pendant le culte, vie associative, ressources théologiques, formations pour les responsables d’église, etc) offre un point d’entrée essentiel pour la mise à l’agenda de l’urgence environnementale auprès de ces groupes par ailleurs fortement engagés et mobilisables.
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3. L’intensité de pratique religieuse est le trait le plus déterminant de l’engagement
L’étude menée par Parlons Climat a choisi une définition multifactorielle de la pratique religieuse : la fréquentation de l’office dominical, mais aussi les temps de prière, lecture et célébration hors culte, qu’ils soient individuels ou collectifs, ainsi que l’engagement dans des œuvres d’église. Sur la base des réponses à ces différentes questions, un indice de pratique religieuse coté de 1 (faible intensité) à 3 (intensité élevée) a été construit. L’intensité de pratique a ensuite été articulée aux attitudes environnementales pour identifier des profils d’engagement. Quatre groupes ont émergé chez les répondants catholiques et trois groupes chez les protestants.
Chez les catholiques, les 4 groupes se distribuent ainsi :
La génération Laudato Si (21% des catholiques pratiquants de l’échantillon) | Les conservateurs réfractaires (17% des catholiques pratiquants de l’échantillon) | Les éco-cathos de la première heure (30% des catholiques pratiquants de l’échantillon) | Les désengagés (32% des catholiques pratiquants de l’échantillon) |
· Trentenaire · Forte intégration religieuse : pratique beaucoup, participe à de nombreuses activités · Proximité avec la doctrine de l’Eglise : conservatisme sur les questions de société (mariage, genre…) · Forte envie d’agir pour l’environnement (82% pensent qu’ils pourraient en faire plus, contre 62% en moyenne) · Attentes élevées vis-à-vis de l’Eglise sur les questions environnementales | · Retraité · Intégration religieuse faible : assiste peu à la messe, participe peu aux activités · Conservatisme politique · Forte perméabilité aux contre-discours climatiques (origine anthropique niée par la totalité des répondants) · Réfractaires à l’idée d’associer spiritualité et écologie | · Quinquagénaire · En retrait vis-à-vis de l’Eglise : va moins souvent à la messe que la moyenne de l’échantillon (80% de fréquentation occasionnelle contre 70% en moyenne), méfiance plus élevée vis-à-vis des responsables religieux (49% font peu ou pas confiance) · Convictions écologiques fortes et cohérentes · Attentes élevées vis-à-vis de l’Eglise · Associe fortement écologie et spiritualité | · Retraité · Ancré à la droite et l’extrême-droite de l’échiquier politique · Lucide sur la situation environnementale mais peu enclin à en faire plus · Groupe le moins pratiquant du panel · Groupe qui associe le moins valeurs chrétiennes et respect de l’environnement. |
Chez les protestants, on retrouve une structure en 3 groupes mais présentant des traits similaires :
Les jeunes climatosceptiques (29% des protestants pratiquants de l’échantillon) | Les attentistes éloignes de l’Eglise (29% des protestants pratiquants de l’échantillon) | Les pratiquants idéalistes (42% des protestants pratiquants de l’échantillon) |
· Trentenaires · La plus forte intégration religieuse du panel protestant · Discours dénialiste (seul 16% du groupe estiment que le changement climatique est d’origine anthropique) · Volonté d’agir collectivement pour 86% des répondants de ce groupe, mais méconnaissance des leviers d’action pour 70% d’entre eux · L’église est le lieu de l’engagement, mais l’écologie ne doit pas être prioritaire | · Tout âge · La plus faible intégration religieuse du panel protestant : pratique peu, participe peu aux œuvres et actions · Reconnaît les causes anthropiques et la nécessité du changement, mais faible engagement citoyen et peu de volonté d’agir · Fait peu de liens entre spiritualité et religion | · A moins de 40 ans · Intégration religieuse élevée · Conscience élevée des enjeux environnementaux et forte envie d’agir · Divisé quant au rapport entre spiritualité et écologie : « l’écologie est une nouvelle religion » remporte autant de « oui » que de « non » · L’église est perçue comme le lieu de l’engagement |
Ces résultats, cohérents avec ceux des enquêtes internationales telles que l’International Social Survey Programme (ISSP), montrent une corrélation positive entre l’intégration religieuse et l’engagement citoyen. Les répondants qui pratiquent le plus intensément leur culte sont également ceux qui sont les plus susceptibles de participer à des actions en faveur de l’environnement, de souhaiter agir davantage et de considérer leur église comme un acteur pertinent sur la thématique environnementale.
Par ailleurs, cette tendance est relativement décorrélée des « croyances » liées à l’environnement ou à l’interprétation de la Bible. Ainsi, si l’on observe des variations selon les cultes dans la perception des causes de la crise environnementale ou de l’écologie politique, ces perceptions influent relativement peu sur la volonté d’action et la conviction que cette action peut avoir lieu dans le cadre de l’église. Ces croyances vont plutôt jouer sur l’aspect « identitaire », c’est-à-dire la perception d’une concurrence entre écologie politique et missions des chrétiens dans la société (par exemple en privilégiant l’annonce de l’Evangile à l’action écologique).
4. Un rapport ambivalent à la nature
Bien que les chrétiens nourrissent une forte envie d’agir, on note par ailleurs une vision anthropocentrée de l’environnement. La nature est ainsi perçue comme une ressource à disposition des êtres humains pour respectivement 68% et 76% des catholiques et protestants pratiquants. Les plus pratiquants parmi les enquêtés craignent également une mise en concurrence de l’écologie et des valeurs religieuses, avec une adhésion élevée à la proposition que l’écologie sacralise la nature et nie à l’être humain sa place unique dans la Création.
Par ailleurs, un grand nombre d’enquêtés manifestent une plus forte croyance en une solution technologique pour lutter contre le changement climatique que la moyenne française. [CS1] Ainsi, 58% et 64% des catholiques et protestants pratiquants sont d’accord avec le fait que le progrès technique nous permettra de remédier à la dégradation de l’environnement et au changement climatique..
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Références : [1] La diversité religieuse en France : transmissions intergénérationnelles et pratiques selon les origines, Insee, 2023.
[2] Voir par exemple le Handbook of Climate Change Communication Vol. 3 (Springer, 2018).